La Russie m’a toujours fasciné – les valeureux héros qui ont défendu la Moscovie contre la Horde d’Or, la fastueuse et mystérieuse foi orthodoxe, les vastes espaces, la philosophie et la culture remarquables, la révolution bolchevique contre l’impérialisme… Il est clair que l’Occident a toujours été jaloux de ce génie exceptionnel.
Le dangereux affrontement actuel est un nouveau combat épique digne du glorieux passé de la Russie, mais qui a malheureusement lieu dans un monde cauchemardesque de drones et de bombes nucléaires. Beaucoup plus tragique que ce que décrivent les contes qui relatent la façon dont Boris Godounov a chassé les Polonais de Moscou, conduisant finalement à l’essor de la ville.
C’est peut-être la raison sous-jacente de la violente animosité qui s’exhale des médias occidentaux, tandis que le bulldozer états-unien tente d’inciter l’ours russe à faire quelque chose d’idiot comme d’attaquer cette stupide Pologne, par exemple. Mais le dirigeant russe est fidèle à ses principes et à ses compatriotes slaves et il tient bon, malgré les provocations. Personne ne va détruire la Russie ni ne réussira à faire éclater l’ancienne fédération slave en autant de supermarchés.
Otto von Bismarck
Un épisode plus récent de l’histoire de la Russie implique l’homme d’État allemand Bismarck, qui a reconnu que les puissances du Rimland* (puis la Grande-Bretagne et aujourd’hui les États-Unis qui utilisent leur puissance navale supérieure pour dominer le monde) devaient neutraliser la Russie pour garder le contrôle du centre de l’Europe. Que les Britanniques (aujourd’hui Américains) devaient garder l’Allemagne et la Russie séparées, parce que «celui qui règne sur l’Europe de l’Est commande le Heartland**; qui règne sur le Heartland commande l’Île-Monde***; qui règne sur l’Île-monde commande le monde». (MacKinder)
Les moralistes d’aujourd’hui ont du mal à expliquer que Bismarck, oui, était un froid calculateur dont les décisions répondaient rarement à des critères éthiques, mais au bout du compte sa Realpolitik a assuré une relative stabilité à l’État allemand qui, sous le chancelier Bismarck, a géré les ajustements de l’Europe sans conflits armés. Entre 1871 et 1890, l’Empire allemand était dans l’ensemble un facteur de stabilité en Europe. Pendant le Congrès de Berlin de 1878, qui mettait fin à la crise des Balkans, Bismarck se conduisit, en effet, en négociateur honnête, ce qui lui a valu le respect de toute l’Europe. Cependant, avec le départ de Bismarck en 1890, l’influence stabilisatrice de l’Allemagne a pris fin et les tensions se sont ravivées en Europe. Les nationalistes allemands ont imprudemment abandonné le plan de Bismarck de garder les Rimlanders à distance, ont refusé la paix et la prospérité à l’Europe tout au long du siècle suivant, et ont offert beaucoup de butin aux vainqueurs (les Rimlanders).
Nous avons maintenant assez de preuves que quand l’Allemagne et la Russie s’entendent, c’est une bénédiction pour l’Europe; si c’est la guerre, alors tout le continent tombe en ruines et est dépecé par les Rimlanders.
La décision occidentale actuelle d’envahir l’Ukraine contredit une fois de plus l’esprit de Bismarck. Affaiblir l’Allemagne par une guerre inutile avec la Russie et aller vers la catastrophe avec le partenariat transatlantique du Commerce et de l’Investissement (TTIP), une sorte d’Otan pour les masses démunies, assurera le règne éternel de l’Occident.
Comme le dit Pepe Escobar, «Le rêve de l’Empire du Chaos d’opérer un changement de régime en Russie a toujours reposé sur le contrôle de larges pans de l’Eurasie. Une marionnette à Moscou – une copie conforme de la marionnette ivre Eltsine – livrerait les immenses ressources naturelles de la Russie à l’Occident, avec celles des «stans»**** tout proches d’Asie centrale en prime…
» Si par contre la Russie maintient son influence, même indirectement, sur l’Ukraine et sur le pétrole et le gaz naturel d’Asie centrale, Moscou devient capable de se projeter à nouveau comme une superpuissance et de contrebalancer le pouvoir américain sur un monde unipolaire…
» La Russie n’a pas reculé. Pour montrer sa bonne volonté, l’Union soviétique avait rejoint l’important Traité sur les forces conventionnelles en Europe (combien de preuve faut-il aux fauteurs de guerre de l’Otan que la Russie a toujours voulu la paix?). En 2007, ce que l’Otan manigançait en Ukraine est apparu clairement, et Poutine a bien fait de se retirer du traité; il protège désormais la Crimée et teste les défenses de l’Otan en envoyant des avions dans le périmètre défensif de l’Otan.»
L’Ukraine et la Russie ont toujours été des alliés. La plupart des Ukrainiens sont russes. Les quelques Ukrainiens xénophobes que l’Occident loue si fort ont été formés en Pologne dans les années 1930-1950 et sont en grande partie des fascistes.
Mais cela ne dérange nullement les conquérants du monde occidental, qui ont soutenu les nazis dans le passé et dont le degré de moralité avoisine zéro. Ils pensaient que l’Ukraine serait une promenade de santé et que, comme les Lituaniens, il serait facile de leur faire troquer leur intégrité nationale contre des armes américaines et un peu de luxe. Mais cela n’a pas fonctionné. La duplicité des médias occidentaux est tout simplement méprisable. Il est plus intéressant de se rappeler que le prince ukrainien Shuysky a été élu tsar de Russie en attendant que le prétendant au trône soit en âge d’y accéder, il y a cinq cents ans. C’était une époque où la politique était héroïque.
Eric Walberg
Notes
* Le Rimland : Les régions côtières qui selon Spykman forment la région clé de la politique mondiale. Le Rimland inclut les pays d’Europe occidentale, le Moyen-Orient, l’Asie du Sud-ouest, la Chine et l’Extrême-Orient. Ces pays, combinés avec les îles de la Grande-Bretagne et du Japon, possèdent davantage de ressources industrielles et de main-d’œuvre que le Heartland, et exercent à la fois une puissance terrestre et maritime. http://www.geolinks.fr/bibliographie/nicholas-spykman/
** Le Heartland se trouve au centre de l’Île monde, et s’étend de la Volga au Yangtze et de l’Himalaya à l’Arctique. À l’époque de Mackinder, le Heartland était l’espace occupé par l’Empire russe et l’Union soviétique.
*** La World-Island ou Île Monde, faite des continents européen, asiatique et africain liés les uns aux autres, considérés comme l’ensemble le plus large, le plus riche et le plus peuplé des combinaisons terrestres.
**** Les “stans” sont ces quatre pays d’Asie Centrale : Ouzbekistan, Turkménistan, Kazakhstan, Kirghizstan.
Traduit par Dominique Muselet, relu par jj et Diane pour le Saker Francophone